Médicaments sur billets de 500 euros
Publié le 10/07/2018

Les traitements CAR-T, un espoir pour les personnes malades, un défi financier pour les systèmes de santé.

Depuis 2015, la Ligue nationale contre le cancer est mobilisée pour dénoncer les prix croissants et exorbitants des nouveaux traitements contre les cancers. Sur les 20 dernières années, les prix des médicaments anticancéreux n’ont eu de cesse d’augmenter de manière régulière et significative. Selon l’assurance-maladie, le coût moyen d’une année de vie gagnée est passé de 15 877 euros en 1996, à 175 968 euros en 2016. (1)

Il n’est plus rare, aujourd’hui, que les traitements contre les cancers, comme le Glivec® ou les immunothérapies, coûtent plusieurs dizaines de milliers d’euros par an et par personne, en étant parfois prescrits sur de très longues périodes. Si c’est une bonne nouvelle pour les personnes malades, c’est aussi un véritable défi pour la pérennité budgétaire de notre système de santé solidaire.

Cette pérennité risque de se voir de plus en plus mise à l’épreuve face à l’arrivée prochaine, d’une nouvelle génération de traitements, les traitements CAR-T. Ils consistent en une modification génétique du système immunitaire de la personne malade afin de le programmer pour qu’il reconnaisse et détruise les cellules cancéreuses.

Deux de ces traitements ont été approuvés aux Etats-Unis, le Kymriah® de Novartis avec un prix de 475 000 dollars par patient (paiement conditionné a un effet du traitement sur le premier mois), et le Yescarta® de Kite Pharma/Gilead Science avec un prix de 373 000 dollars par patient (peu importe l’efficacité sur le premier mois ou les premières semaines). A de tels niveaux de prix, combien de temps sera-t-il possible de donner un accès aux meilleurs traitements pour toutes les personnes en ayant besoin ? Des critères d’accès, par exemple sur l’âge ou le mode de vie, devront-ils être définis ?

Ces questions ne portent pas sur des perspectives de long terme, elles se posent dès aujourd’hui ! Ces deux traitements sont actuellement en cours d’évaluation auprès de l’Agence Européenne du Médicament qui devrait leur accorder une autorisation de mise sur le marché dans les prochaines semaines. Et les systèmes de santé s’y préparent, à l’image de la France qui a voté une augmentation des dépenses en médicaments à l’hôpital dans le projet de loi de finance de la sécurité sociale pour 2018, justement pour permettre de financer ces traitements, en acceptant par là le prix revendiqué.

Mais ce prix est-il justifié ? Les laboratoires détenteurs des brevets justifient ces prix sur trois arguments principaux : le coût de production, les investissements en recherche et développement, et les performances du médicament.

Certes, en raison du caractère très individualisé et personnalisé de ces traitements, à partir du système immunitaire de la personne malade, les coûts de production sont élevés. Novartis revendique ainsi un coût de production de 200 000 dollars par patient (2). Pourtant, en 2012, le Dr. June, l’un des chercheurs ayant développé cette technologie avec Novartis, estimait le coût de production à 20 000 dollars par patient (3). En 2015, le Directeur administratif et financier de Kite Pharma annonçait une hypothèse de prix autour 150 000 dollars par patient (4), soit 50 000 euros en dessous de ce que cela coûterait à produire à Novartis. Les coûts de production revendiqués pour justifier les prix semblent donc surestimés et ne peuvent être acceptés comme tel, même s’il est difficile d’en établir une estimation précise en raison, une fois de plus, d’un manque de transparence en la matière.

De même, le manque de transparence est flagrant en matière de recherche et développement, notamment sur les investissements pour développer ces traitements et les amener sur le marché. Selon Novartis, l’entreprise aurait dépensé plus d’un milliard pour amener le Kymriah® sur le marché, mais qu’en est-il des investissements en recherche publique ? Selon l’association Patients for affordable drugs, l’Institut Américain pour la Santé (National institute of Health), à lui seul, aurait investi plus de 200 millions de dollars dans le développement de cette nouvelle technologie de santé (5). Ce financement public assumé par les citoyens est-il pris en compte dans le coût de la recherche, et dans la définition de prix ? Les médicaments ne seraient-ils pas payés deux fois, par le soutien à la recherche d’abord, et lorsqu’ils sont sur le marché et prescrits aux personnes malades ensuite ?

Enfin, ce prix serait justifié par la valeur même de ces traitements, ce qu’ils apportent aux patients et à la société. Ainsi, les traitements CAR-T actuels ou en développement, semblent donner des résultats remarquables et porteurs d’espoirs. Le Kymriah® permettrait de guérir 82% des enfants et jeunes adultes vivant avec une forme spécifique de leucémie (6). Le Yescarta® permettrait une rémission complète de 51% de certains lymphomes (7). Ce sont ces performances qui sont valorisées dans le prix, car ces traitements permettent de sauver des vies, de gagner potentiellement plusieurs années de vie en bonne santé pour les personnes, de faire des économies sur les soins qui ne sont plus nécessaires…

Cependant, cette méthode de définition de prix sur la valeur du médicament est hautement contestable, notamment selon l’Organisation Mondiale de la Santé, puisqu’elle revient à donner une valeur relative à la vie d’une personne (8). S’il était généralisé, ce modèle pourrait se traduire par une forte augmentation de prix de nombreux produits de santé, à l’image des vaccins, ou pourquoi pas d’une simple bouteille d’oxygène. Ce modèle de prix est par essence inflationniste, puisque les nouveaux traitements sont supposés être meilleurs que ceux auxquels ils succèdent. Il est par conséquent une menace pour les systèmes de santé, pour l’accès aux meilleurs soins pour toutes et tous, indépendamment de l’âge, du niveau de richesse, des modes de vie… Enfin, le prix en fonction de la valeur déconnecte le prix de son contexte, des contraintes sur le système de santé, des coûts de production et incite à orienter les stratégies de recherche sur les profits attendus plutôt que sur les besoins médicaux non couverts.

Les nouveaux traitements permettent et permettront de prolonger la vie, d’éviter des effets indésirables, de guérir les personnes. Ils sont porteurs d’espoirs pour les personnes malades et leurs proches, ils sont attendus avec impatience. Mais tous ces traitements ne sont et ne seront efficaces que s’ils sont effectivement accessibles pour toutes personnes en ayant besoin, de manière équitable, et donc en ne menaçant pas l’équilibre des systèmes de santé. C’est pourquoi la Ligue contre le cancer et ses partenaires se mobilisent.

 

  1. Rapport Charges et produits pour l'année 2018, CNAM, Juillet 2017
  2. Profit on $475,000 Novartis cancer drug could be a while coming. Reuters. Aout 2017 www.reuters.com/article/us-novartis-fda-price/profit-on-475000-novartis-cancer-drug-could-be-a-while-coming-idUSKCN1BB2EA
  3. In Girl’s Last Hope, Altered Immune Cells Beat Leukaemia. The New York Times, Décembre 2012 www.nytimes.com/2012/12/10/health/a-breakthrough-against-leukemia-using-altered-t-cells.html
  4. Kite CEO plans to learn from Gilead's pricing playbook. Reuters, Janvier 2015 www.reuters.com/article/us-healthcare-kite-pharma/kite-ceo-plans-to-learn-from-gileads-pricing-playbook-idUSKBN0KO2EF20150115
  5. Total federal funding to organizations for projects related to chimeric antigen receptors Last updated July 25, 2017 https://www.keionline.org/wp-content/uploads/2018/01/CAR-T-publicfunding-DianeSinghroy-25jul2017.pdf
  6. Novartis presents results from first global registration trial of CTL019 in pediatric and young adult patients with r/r B-ALL, Décembre 2016 https://www.novartis.com/news/media-releases/novartis-presents-results-first-global-registration-trial-ctl019-pediatric-and
  7. Kite’s Yescarta™ (Axicabtagene Ciloleucel) Becomes First CAR T Therapy Approved by the FDA for the Treatment of Adult Patients With Relapsed or Refractory Large B-Cell Lymphoma After Two or More Lines of Systemic Therapy, Octobre 2017, http://www.gilead.com/news/press-releases/2017/10/kites-yescarta-axicabtagene-ciloleucel-becomes-first-car-t-therapy-approved-by-the-fda-for-the-treatment-of-adult-patients-with-relapsed-or-refractory-large-bcell-lymphoma-after-two-or-more-lines-of-systemic-therapy
  8. WHO Officials Offer Opposition to Value-Based Drug Pricing, Mai 2017 , https://www.raps.org/regulatory-focus%E2%84%A2/news-articles/2017/5/who-officials-offer-opposition-to-value-based-drug-pricing
couverture du livre blanc sur le prix du médicament
Publié le 10/07/2018

Prix, valeur et accessibilité des médicaments : la société civile s’invite dans le débat

Face à l’augmentation considérable des prix des nouveaux médicaments, notamment ceux contre les cancers, l’hépatite C et certaines maladies rares, la société civile française se mobilise pour défendre l’accès aux meilleurs soins pour toutes et tous, et la sauvegarde de notre système de santé solidaire. La Ligue contre le cancer, AIDES, Prescrire, UAEM, Médecins du Monde, Médecins sans frontières, France Assos Santé et l’UFC Que Choisir se sont mobilisées pour rédiger un Livre blanc  :

«Médicaments et progrès thérapeutique : garantir l’accès, maîtriser les prix».

L’inflation continue des prix des nouveaux traitements est une menace pour l’accès équitable aux soins et pour la pérennité de notre système de santé solidaire. En prenant ensemble la parole, ces associations, dans leur diversité, affirment que cela n’est pas une fatalité. Les innovations dont l'efficacité est prouvée doivent pouvoir être rendues accessibles et la pertinence de leurs usages garanties. Les prix doivent être mieux contrôlés afin que le progrès thérapeutique bénéficie d'abord aux personnes malades sans pour autant décourager l'innovation.

médicament ligue cancer 4
Publié le 27/02/2018

PLFSS 2018, un texte utile à la lutte contre le cancer qui doit être renforcé au Sénat

La Ligue nationale contre le cancer se félicite du vote par l’Assemblée nationale de mesures utiles à la lutte contre les cancers dans le PLFSS 2018. Elle appelle le Sénat à soutenir et renforcer ce projet de loi, notamment sur la prévention. Elle regrette cependant la timidité du texte sur le prix du médicament, surtout à la veille de l’arrivée en France d’innovations thérapeutiques majeures (CAR-T) mais particulièrement onéreuses.

 

La prévention, axe majeur et perfectible du PLFSS 2018

 

Agnès Buzyn, ministre des Solidarités et de la Santé, a tenu bon. Le PLFSS 2018, tel que voté par l’Assemblée nationale, intègre des mesures importantes en matière de prévention des cancers, et ce en dépit de mobilisations importantes contre deux mesures phares : la vaccination obligatoire et l’augmentation des taxes sur le tabac.

 

Jacqueline Godet, présidente de la Ligue contre le cancer s’en félicite : « Avec 40% de cancers évitables,  la France doit avoir le courage d’assumer des politiques de prévention ambitieuses afin que les 150 000 personnes atteintes d’un cancer évitable chaque année puissent en être épargnées. Les mesures sur le tabac et la vaccination y contribueront ! ».

 

Si la Ligue se félicite du vote de ces mesures, elle regrette cependant les « angles morts » des débats.

 

  • Le paquet de cigarettes à 10 euros en 2020 passe par 5 progressions successives et donc modérées. Les études scientifiques françaises et internationales prouvent que seules les progressions importantes et brutales permettent de baisser significativement le tabagisme.
  • De même, la Ligue regrette que les Députés n’aient pu discuter de la vaccination contre le papillomavirus humain (HPV), responsables de cancers du col de l’utérus notamment.

 

Sur ces deux enjeux, la Ligue contre le cancer a proposé des amendements aux Députés, elle les proposera de nouveau aux Sénateurs. Ces débats doivent avoir lieu.

 

Médicament, un texte insuffisant face aux prix revendiqués pour les innovations thérapeutiques

 

Ces 20 dernières années, les prix des traitements contre le cancer n’ont eu de cesse de croître. Il n’est plus rare de voir des innovations thérapeutiques de 50 000 à 90 000 euros par personne et par an. En 2018, une nouvelle étape sera franchie avec l’arrivée en Europe et en France d’innovations thérapeutiques majeures, les traitements CAR-T, qui coûtent aux États-Unis entre 373 000 et 475 000 dollars par personne.

 

Face à ce défi, le PLFSS 2018 se contente d’autoriser une croissance accrue des dépenses en médicament à l’hôpital, afin de pouvoir payer ces innovations, et sans interroger ces prix en eux-même. Pour Agnès Buzyn « ce sont des produits de thérapie cellulaire et génique qui donnent des résultats spectaculaires … mais ils vont coûter extrêmement cher car ils sont assez difficiles à produire. » Or, ni la société civile, ni la représentation nationale ne peuvent accéder à des informations objectives sur ces coûts de production, en raison de l’absence de transparence sur les médicaments, leurs prix réels, et les déterminants de ces prix.

 

A la veille de l’arrivée de ces innovations thérapeutiques, la Ligue nationale contre le cancer réaffirme donc sa revendication d’une transparence accrue sur les prix, et proposera donc aux Sénateurs des amendements en ce sens.

 

 

médicament ligue cancer 3
Publié le 27/02/2018

La Ligue contre le cancer salue le rapport de la Cour des Comptes constatant l’opacité et les surcoûts des prix des médicaments

Dans son rapport annuel sur les comptes de la Sécurité sociale, la Cour des Comptes se penche sur le prix du médicament en France. L’institution formule un certain nombre de conclusions, et en tire des recommandations, que la Ligue contre le cancer partage.

Ainsi, la Cour des Comptes dénonce dans son rapport la déconnection entre les prix des médicaments et « l’apport thérapeutique véritable ». Comme l’avait fait la Ligue, elle met en particulier en avant deux facteurs contribuant à cette déconnection.

 

Le premier de ces facteurs porte sur la prise en compte de « considérations industrielles » dans la politique des prix. Ce n’est pas le rôle de l’Assurance Maladie, par ailleurs en déficit, de financer de tels politiques. Pour Jacqueline Godet, Présidente de la Ligue contre le Cancer « Le rôle de notre système de santé solidaire est de défendre l’accès aux meilleurs soins pour toutes les personnes malades. Les politiques industrielles ne peuvent s’imposer dans ce système, et se mener au dépens de la santé des personnes. »

 

La Cour des Comptes note également le manque de transparence relative aux prix. Elle souligne notamment l’usage généralisé du système de remises, même pour des médicaments qui ne devraient pas y être éligibles. Ce système de remises, avec un prix public éloigné du prix réel, contribue à créer des surcoûts. L’institution dénonce ainsi le brouillage du signal « prix » pour les médecins « de nature à favoriser des comportements de sur-prescription de médicaments dont le coût ne reflète pas l’apport thérapeutique réel ou le degré d’innovation », mais aussi l’asymétrie d’information, pour les établissements de soins, dans les négociations avec les laboratoires sur l’achat des médicaments les plus onéreux, et ce au dépend de l’Assurance Maladie.

 

Pour la Ligue, la transparence est essentielle, il en va d’un enjeu démocratique. Il n’est pas acceptable, dans une démocratie moderne et équilibrée, que des prix élevés aient des conséquences politiques et publiques importantes sur le système de santé, sans que les citoyens, les personnes malades, leurs représentants puissent être informés sur les enjeux réels, et avoir une possibilité de contrôle et contre-pouvoir.

 

La Cour des Comptes propose des réformes constructives et pertinentes relatives aux prix. Elle demande notamment de renforcer les moyens du CEPS sur la négociation des prix, une plus grande coopération européenne, allant jusqu’à des négociations conjointes, l’inscription dans la loi d’échéances de baisses de prix… Elle propose finalement des mesures pour reconnecter le prix du médicament à ce qu’il est, c’est-à-dire son intérêt, sa place et son rôle dans le système de santé.

 

La Ligue contre le cancer salue ce rapport de la Cour des Comptes et demande au Gouvernement et au Parlement de profiter du projet de loi de finances pour 2018 pour mettre en place des premières réformes. La Ligue rappelle que, dans les prochains mois, de nouveaux traitements contre le cancer arriveront en Europe, avec des prix pouvant aller, selon le système actuel, jusqu’à 400 000 euros pour soigner une seule personne. La Ligue contre le cancer ne l’accepte pas. Sur le prix des médicaments innovants, l’urgence est donc plus réelle que jamais.