Les traitements CAR-T, un espoir pour les personnes malades, un défi financier pour les systèmes de santé.
Depuis 2015, la Ligue nationale contre le cancer est mobilisée pour dénoncer les prix croissants et exorbitants des nouveaux traitements contre les cancers. Sur les 20 dernières années, les prix des médicaments anticancéreux n’ont eu de cesse d’augmenter de manière régulière et significative. Selon l’assurance-maladie, le coût moyen d’une année de vie gagnée est passé de 15 877 euros en 1996, à 175 968 euros en 2016. (1)
Il n’est plus rare, aujourd’hui, que les traitements contre les cancers, comme le Glivec® ou les immunothérapies, coûtent plusieurs dizaines de milliers d’euros par an et par personne, en étant parfois prescrits sur de très longues périodes. Si c’est une bonne nouvelle pour les personnes malades, c’est aussi un véritable défi pour la pérennité budgétaire de notre système de santé solidaire.
Cette pérennité risque de se voir de plus en plus mise à l’épreuve face à l’arrivée prochaine, d’une nouvelle génération de traitements, les traitements CAR-T. Ils consistent en une modification génétique du système immunitaire de la personne malade afin de le programmer pour qu’il reconnaisse et détruise les cellules cancéreuses.
Deux de ces traitements ont été approuvés aux Etats-Unis, le Kymriah® de Novartis avec un prix de 475 000 dollars par patient (paiement conditionné a un effet du traitement sur le premier mois), et le Yescarta® de Kite Pharma/Gilead Science avec un prix de 373 000 dollars par patient (peu importe l’efficacité sur le premier mois ou les premières semaines). A de tels niveaux de prix, combien de temps sera-t-il possible de donner un accès aux meilleurs traitements pour toutes les personnes en ayant besoin ? Des critères d’accès, par exemple sur l’âge ou le mode de vie, devront-ils être définis ?
Ces questions ne portent pas sur des perspectives de long terme, elles se posent dès aujourd’hui ! Ces deux traitements sont actuellement en cours d’évaluation auprès de l’Agence Européenne du Médicament qui devrait leur accorder une autorisation de mise sur le marché dans les prochaines semaines. Et les systèmes de santé s’y préparent, à l’image de la France qui a voté une augmentation des dépenses en médicaments à l’hôpital dans le projet de loi de finance de la sécurité sociale pour 2018, justement pour permettre de financer ces traitements, en acceptant par là le prix revendiqué.
Mais ce prix est-il justifié ? Les laboratoires détenteurs des brevets justifient ces prix sur trois arguments principaux : le coût de production, les investissements en recherche et développement, et les performances du médicament.
Certes, en raison du caractère très individualisé et personnalisé de ces traitements, à partir du système immunitaire de la personne malade, les coûts de production sont élevés. Novartis revendique ainsi un coût de production de 200 000 dollars par patient (2). Pourtant, en 2012, le Dr. June, l’un des chercheurs ayant développé cette technologie avec Novartis, estimait le coût de production à 20 000 dollars par patient (3). En 2015, le Directeur administratif et financier de Kite Pharma annonçait une hypothèse de prix autour 150 000 dollars par patient (4), soit 50 000 euros en dessous de ce que cela coûterait à produire à Novartis. Les coûts de production revendiqués pour justifier les prix semblent donc surestimés et ne peuvent être acceptés comme tel, même s’il est difficile d’en établir une estimation précise en raison, une fois de plus, d’un manque de transparence en la matière.
De même, le manque de transparence est flagrant en matière de recherche et développement, notamment sur les investissements pour développer ces traitements et les amener sur le marché. Selon Novartis, l’entreprise aurait dépensé plus d’un milliard pour amener le Kymriah® sur le marché, mais qu’en est-il des investissements en recherche publique ? Selon l’association Patients for affordable drugs, l’Institut Américain pour la Santé (National institute of Health), à lui seul, aurait investi plus de 200 millions de dollars dans le développement de cette nouvelle technologie de santé (5). Ce financement public assumé par les citoyens est-il pris en compte dans le coût de la recherche, et dans la définition de prix ? Les médicaments ne seraient-ils pas payés deux fois, par le soutien à la recherche d’abord, et lorsqu’ils sont sur le marché et prescrits aux personnes malades ensuite ?
Enfin, ce prix serait justifié par la valeur même de ces traitements, ce qu’ils apportent aux patients et à la société. Ainsi, les traitements CAR-T actuels ou en développement, semblent donner des résultats remarquables et porteurs d’espoirs. Le Kymriah® permettrait de guérir 82% des enfants et jeunes adultes vivant avec une forme spécifique de leucémie (6). Le Yescarta® permettrait une rémission complète de 51% de certains lymphomes (7). Ce sont ces performances qui sont valorisées dans le prix, car ces traitements permettent de sauver des vies, de gagner potentiellement plusieurs années de vie en bonne santé pour les personnes, de faire des économies sur les soins qui ne sont plus nécessaires…
Cependant, cette méthode de définition de prix sur la valeur du médicament est hautement contestable, notamment selon l’Organisation Mondiale de la Santé, puisqu’elle revient à donner une valeur relative à la vie d’une personne (8). S’il était généralisé, ce modèle pourrait se traduire par une forte augmentation de prix de nombreux produits de santé, à l’image des vaccins, ou pourquoi pas d’une simple bouteille d’oxygène. Ce modèle de prix est par essence inflationniste, puisque les nouveaux traitements sont supposés être meilleurs que ceux auxquels ils succèdent. Il est par conséquent une menace pour les systèmes de santé, pour l’accès aux meilleurs soins pour toutes et tous, indépendamment de l’âge, du niveau de richesse, des modes de vie… Enfin, le prix en fonction de la valeur déconnecte le prix de son contexte, des contraintes sur le système de santé, des coûts de production et incite à orienter les stratégies de recherche sur les profits attendus plutôt que sur les besoins médicaux non couverts.
Les nouveaux traitements permettent et permettront de prolonger la vie, d’éviter des effets indésirables, de guérir les personnes. Ils sont porteurs d’espoirs pour les personnes malades et leurs proches, ils sont attendus avec impatience. Mais tous ces traitements ne sont et ne seront efficaces que s’ils sont effectivement accessibles pour toutes personnes en ayant besoin, de manière équitable, et donc en ne menaçant pas l’équilibre des systèmes de santé. C’est pourquoi la Ligue contre le cancer et ses partenaires se mobilisent.
- Rapport Charges et produits pour l'année 2018, CNAM, Juillet 2017
- Profit on $475,000 Novartis cancer drug could be a while coming. Reuters. Aout 2017 www.reuters.com/article/us-novartis-fda-price/profit-on-475000-novartis-cancer-drug-could-be-a-while-coming-idUSKCN1BB2EA
- In Girl’s Last Hope, Altered Immune Cells Beat Leukaemia. The New York Times, Décembre 2012 www.nytimes.com/2012/12/10/health/a-breakthrough-against-leukemia-using-altered-t-cells.html
- Kite CEO plans to learn from Gilead's pricing playbook. Reuters, Janvier 2015 www.reuters.com/article/us-healthcare-kite-pharma/kite-ceo-plans-to-learn-from-gileads-pricing-playbook-idUSKBN0KO2EF20150115
- Total federal funding to organizations for projects related to chimeric antigen receptors Last updated July 25, 2017 https://www.keionline.org/wp-content/uploads/2018/01/CAR-T-publicfunding-DianeSinghroy-25jul2017.pdf
- Novartis presents results from first global registration trial of CTL019 in pediatric and young adult patients with r/r B-ALL, Décembre 2016 https://www.novartis.com/news/media-releases/novartis-presents-results-first-global-registration-trial-ctl019-pediatric-and
- Kite’s Yescarta™ (Axicabtagene Ciloleucel) Becomes First CAR T Therapy Approved by the FDA for the Treatment of Adult Patients With Relapsed or Refractory Large B-Cell Lymphoma After Two or More Lines of Systemic Therapy, Octobre 2017, http://www.gilead.com/news/press-releases/2017/10/kites-yescarta-axicabtagene-ciloleucel-becomes-first-car-t-therapy-approved-by-the-fda-for-the-treatment-of-adult-patients-with-relapsed-or-refractory-large-bcell-lymphoma-after-two-or-more-lines-of-systemic-therapy
- WHO Officials Offer Opposition to Value-Based Drug Pricing, Mai 2017 , https://www.raps.org/regulatory-focus%E2%84%A2/news-articles/2017/5/who-officials-offer-opposition-to-value-based-drug-pricing